Un Fort du système de défense Séré de Rivières

Construit en deux années seulement, de 1878 à 1880, le Fort de Mons-en-Barœul fait partie du système de défense élaboré par le général Séré de Rivières suite à la défaite de 1870. Devenu inutile suite à la mise au point de nouveaux explosifs 5 ans seulement après sa réalisation, il sera toutefois le siège d'unités de transmission, dont la plus étonnante sera celle d'une section colombophile avant de servir durant la guerre d'Indochine. Entre temps il aura connu des périodes d'occupation allemande à chacune des deux guerres mondiales, après avoir été déclassé 48 heures avant la déclaration de la première ! Resté intact, car non bétonné comme beaucoup d'autres fortifications, et magnifiquement remis en valeur avec un centre socio-culturel, c'est un exemple unique qui présente un intérêt architectural, historique et patrimonial exceptionnel.

Le Fort de Mons-en-Barœul et le camp retranché de Lille

Une série de 4 articles écrits par Alain Cadet, parus dans la Voix du Nord, à partir les lundi 26, mardi 27, mercredi 28 et jeudi 29 avril 2021.

Le Fort de Mons-en-Barœul et le « camp retranché de Lille » (1/4)  



Nous démarrons aujourd’hui une série consacrée au Fort de Mons, son histoire et toute une foule d’anecdotes (moins connues que les grandes lignes) qui font la particularité de cet édifice, construit entre 1878 et 1880 pour être un maillon du « camp retranché de Lille ».  

 

1 L'origine

 

Pour la France de Napoléon III, la guerre de 1870 représente un véritable écroulement. Le traité de Versailles de 1871 va se solder par la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine. Dans cette décennie 1870, la France est à la merci d’un nouveau raid de ses voisins d’Outre-Rhin. Elle réfléchit au moyen de s’en prémunir. Une partie significative de la génération en âge de servir à l’armée a été décimée par cette guerre sauvage. La stratégie de la défense du territoire s’oriente vers un système de places fortes permettant d’agir efficacement avec des effectifs réduits.


Elle est menée par Raymond Adolphe Séré de Rivières, brillant officier du Génie. En 1874, il est le directeur du service. Il va être à l’origine de plus de 500 ouvrages, dont 196 forts, répartis sur les territoires français.

 

Des ouvrages bâtis sur des positions dominantes


À Lille, la ville et sa muraille vont être protégées par huit ouvrages (six forts et deux batteries), disposés de telle sorte qu’ils puissent atteindre au moyen de l’artillerie n’importe quel point du territoire du « camp retranché ». Dans les années 1890, on va rajouter des ouvrages intermédiaires, en béton cette fois qui complètent le dispositif.

 

2 Le dispositif

 

L’aile Est est constituée des forts de Seclin, Sainghin-en-Mélantois, de la batterie du camps-français (Lezennes), puis des forts de Mons-en-Barœul et de Bondues. On considère que ces deux dernières places fortes sont celles que l’ennemi attaquera probablement en premier. Tous ces ouvrages sont bâtis sur les positions dominantes de la crête qui va de la Marque à la Deûle. Ils en maîtrisent les vallées, les villes, les voies de chemin de fer, les routes tout en se protégeant mutuellement.


Leurs distances respectives et l’orientation de « leurs pas de tir » sont dictées par la portée et des canons en service en cette fin du XIX e siècle. Les progrès des poudres propulsives et des explosifs brisants vont rendre le dispositif moins redoutable. Un seul des forts sera engagé lors des batailles de 1914.

 

Aujourd’hui disparu, le fort de Sainghin-en-Mélantois a combattu 


Le Fort de Sainghin-en-Mélantois.

 

Cette forteresse faisait également partie de l’arc Est du camp retranché de Lille. Elle était comparable à ses voisines de Seclin et de Mons-en-Barœul. On y dénombrait une artillerie tout à fait conséquente composée au total de vingt bouches à feu, réparties dans une double batterie.


Établi un point relativement élevé (58 m au-dessus du niveau de la mer), le fort de Sainghin battait les hauteurs qui s’étendent de Louvil à Gruson en passant par Bouvines, Chéreng, Templeuve, Fretin. Il permettait de contrôler les voies de chemin de fer dont l’axe Valenciennes, Orchies en direction de Lille et Roubaix.


Cet ouvrage de Sainghin est le seul fort du camp retranché de Lille à avoir affronté l’ennemi pendant la première guerre mondiale. Le 24 août 1914 ses canons de 120 mm ouvrent le feu sur les éléments avancés de l’armée germanique tandis que les cavaliers du 6e régiment de chasseurs commandés par le général Herment croisent le fer avec un détachement de dragons allemands… Qui se replient avant de revenir quelques jours plus tard prendre la ville et tous ses forts.

Le Fort de Mons-en-Barœul, un outil innovant pour la défense du territoire (2/4)


 

Le Fort de Mons-en-Barœul, située à l’est du « Camp retranché de Lille » était considéré comme l’endroit le plus probable où se porterait en premier l’attaque ennemie. Sa construction a donné lieu à un énorme chantier. 


Deuxième volet de notre série. 

 

Avant que le général Séré de Rivières ne soit nommé à la tête du service du Génie au ministère de la Guerre, dès 1872, il existe déjà une ébauche d’un plan du « Camp retranché de Lille ». Y figure le futur fort de Mons-en-Barœul. Ce projet sera, à peu de choses près, réalisé (six forts, deux batteries et treize ouvrages). C’est seulement le 12 février 1878 que le maire de l’époque, Alexandre Delemar, acte en conseil municipal le projet d’acquisition « pour le service militaire des parcelles de terrain nécessaires à la construction d’un fort à Mons-en-Barœul ».


De 1878 à 1880, 600 ouvriers belges vont fabriquer et poser plus de trois millions de ces briques pour construire l’ouvrage. 


C’est un événement important pour cette petite commune de 2 400 habitants pour 483 maisons. Pourtant, la plupart des ouvriers engagés sur le chantier ne seront pas issus du village, mais d’outre-Quiévrain. Les Belges sont réputés pour leur connaissance de la brique et leurs qualités de maçons exceptionnellement habiles. De 1878 à 1880, 600 ouvriers belges vont fabriquer et poser plus de trois millions de ces briques pour construire l’ouvrage. Il est réalisé avec soin : voûtes et colimaçons, briques posées en boutisse, c’est-à-dire en longueur, ce qui confère à l’ouvrage une remarquable solidité.


Une intrusion très périlleuse pour les ennemis


Le nouveau fort prend la forme d’un polygone régulier de 300 m de long pour 150 m de large. Il est entouré d’un fossé qui fait tout le tour de l’édifice et qui constitue le premier obstacle que doit franchir l’envahisseur. L’intrusion de l’ennemi dans ces fossés est très périlleuse. Des batteries de flanquement sont situées de chaque côté de l’entrée ainsi que de l’autre côté de l’édifice dans deux caponnières. Le fort sera, grâce à un curieux engin, tiré par une « locomotive routière » qui fait le tour des ouvrages de ceinture.


En 1905, il y a un Mons, cinq canons revolver Hotchkiss, quatre mortiers de 32 (centimètres) et cinq « douze-culasses » (120 mm) qui contrôlent les abords. Pour les pièces à longue portée en direction de la campagne environnante, la forteresse dispose de six 90 mm et de deux 120 mm, capables d’atteindre un objectif situé à un peu plus de 6 km. On dénombre en tout, tout usage confondu, 22 pièces d’artillerie.


Le fort de Mons-en-Barœul était un obstacle redoutable pour l’armée d’invasion.

A. C. (CLP)

 

Les fortifications « Séré de Rivières »  et les progrès de l’artillerie 


Légende : Eugène Turpin, l'inventeur de la mélinite et un obus-torpille.


Voir un complément sur Eugène Turpin

 

Au début des années 1880, les forts du secteur (Seclin, Sainghin-en-Mélantois, Mons-en-Barœul) étaient des forteresses difficiles à détruire. Mais, en 1884, l’ingénieur militaire Paul Vieille met au point une nouvelle matière propulsive à base de nitrate de cellulose. Elle est trois fois plus puissante que l’ancienne poudre noire. Cette invention permet de fabriquer de nouveaux canons beaucoup plus performants. L’année suivante, un civil, Eugène Turpin, invente la mélinite, un explosif brisant extrêmement dévastateur.


Des obus-torpilles


La conjonction de ces deux inventions françaises permet de mettre au point les « obus-torpilles », des engins de faible calibre qui sont aptes à traverser la couche de terre qui protège les forts « Séré de Rivières » et, en explosant à ras de la muraille, de la détruire.


En réponse, l’armée française construit de nouveaux ouvrages de défense en béton. Au fort de Mons-en-Barœul, au début des années 1890, le dispositif de défense est complété par trois nouveaux ouvrages (Haut-Vinage, Marchenelles et Babylone). Ils sont situés à moins de 3 km du fort principal. Ils peuvent accueillir de l’infanterie et de l’artillerie supplémentaire.


Les nouveaux « magasins à poudre » du camp retranché de Lille sont aussi construits en béton. Avec des murs de 7 m d’épaisseur, ils sont à l’abri de l’artillerie. Tout près du fort Macdonald, l’un de ces magasins qui jouxtait la batterie du « Camps français » (Lezennes, Hellemmes), existe toujours.

A. C. (CLP)


Le fort Macdonald, un outil militaire reconverti dans la vie civile (3/4) 



Légende du cliché : Du temps de la compagnie colombophile avant la Deuxième Guerre mondiale


Voir le régiment colombophile au Fort de Mons-en-Barœul

 

Le Fort de Mons-en-Barœul, sentinelle face aux routes d’invasion, en première ligne pour la défense   du « camp retranché de Lille », ne remplira jamais le rôle pour lequel il a été construit. Il aura d’autres fonctions, militaires… puis civiles. Il deviendra un centre municipal polyvalent. 

 

En 1914, l’armée allemande est aux portes de Lille ! Le Fort ne sera pas défendu et deviendra une prison pour y enfermer les civils des communes d’Hellemmes, de Lille et de Mons-en-Barœul ainsi que les soldats britanniques et portugais capturés sur le front. De 1931 à 1939, l’Armée française revient… avec un régiment colombophile. En mai 1940, l’armée allemande réinvestit les lieux et en fait essentiellement un centre de logistique.


Après-guerre, les liaisons radio remplacent les pigeons. Le Fort héberge une compagnie de l’Etablissement Régional du Matériel des Transmissions. L’ERMT 802 a pour mission la maintenance du matériel, la formation du personnel du Chiffre et des Transmissions et la communication avec des lieux d’opérations très éloignés, tels que l’Indochine.



L'ERMT 802 au Fort de Mons-en-Barœul

Trois projets pour faire revivre le Fort

 

En 1962, l’Armée déserte définitivement le vieux fort. En 1973 elle le revend à la municipalité (Raymond Verrue). C’est l’équipe suivante (Marc Wolf) qui reprend le projet à sa charge et le mène à bien. Cette nouvelle acquisition représente plus de 8 hectares de terrain dont 5 000 m² de bâtiments. Un appel d’offres est lancé.


Trois projets sont retenus : ceux des architectes Christiaens, Segers et David. Le projet Christiaens, très audacieux, veut recouvrir la cour centrale d’une verrière. Elle deviendrait ainsi un immense espace polyvalent, complémentaire du bâti existant. Dans le projet Segers, la structure est revue de fond en comble. Les fossés sont transformés en voies routières pour permettre aux cycles et automobiles d’accéder à des parkings. Le projet David respecte le plus possible le bâtiment existant. C’est lui qui sera retenu pour ce nouvel équipement municipal d’activité socio-éducative et culturelle.


Ce nouvel équipement rénové va pouvoir accueillir les centres aérés, la bibliothèque, l’école de musique, de nouvelles salles de spectacle et d’exposition, des locaux associatifs, et même un restaurant. L’ancien pas de tir des pièces à longue portée sera plus tard transformé en théâtre de verdure, « Les Jardins de Thalie », avec tout autour des gradins qui rappellent un amphithéâtre grec. On pourra venir au fort pour le visiter, voir une exposition, venir au spectacle, déjeuner… et même se marier !


Naturellement, l’entretien d’un bâtiment d’une telle dimension demande des investissements considérables… Pour redonner un coup de jeune au vieux fort, l’actuelle municipalité a prévu un plan d’investissement de trois millions d’euros réparti sur trois ans. A. C. (CLP)

 

1914-1918 : Quand le fort était une prison 

       

Ce bâtiment avait été bâti pour que l’ennemi ne puisse pas y rentrer. Mais quand celui-ci a investi les lieux, en 1914, il en a fait un endroit d’où il était impossible de sortir. Le fort Macdonald est devenu pendant quatre ans une prison allemande. Quand l’occupant va astreindre tous les hommes de 17 à 55 ans au travail obligatoire et qu’une grande partie d’entre eux va essayer de s’y soustraire, elle va enfermer les récalcitrants dans des prisons plus ou moins improvisées, afin de les avoir sous la main pour les travaux dans les champs, les ateliers mais aussi sur le front balayé par l’artillerie franco-britannique. Au fort Macdonald étaient enfermés les prisonniers des villes de Lille, d’Hellemmes et de Mons-en-Barœul.

 

Détenus dans des conditions indignes

 

Mais le plus gros contingent était celui des militaires britanniques faits prisonniers sur le front proche. Ils étaient détenus dans ce fort dans des conditions indignes. Ils vivaient enfermés dans le noir, la saleté et le confinement. Lorsqu’ils étaient autorisés à sortir c’était pour effectuer des travaux dans les zones du front les plus exposées. Durant cette Première Guerre mondiale, rien que pour l’Australie, 337 hommes sont morts en captivité des suites de leurs blessures. Très régulièrement, des familles venues d’Angleterre, d’Australie ou de la Nouvelle-Zélande et même du Portugal, viennent visiter ce fort-prison ou l’un de leurs aïeuls a été, jadis, détenu.


Voir une suite les prisonniers au Fort


Le fort Macdonald, histoire d’une forêt éphémère (4/4) 



Légende de la photo : Le vieux fort avait fini par être recouvert d'une sorte de forêt.

 

Sur les pentes et sur le sommet du vieux fort, recouverts à l’origine par une grande pelouse, se sont développés des arbres. Au fil des ans, ils ont atteint plusieurs dizaines de mètres de hauteur.  Leurs racines, ont grandi jusqu’à s’attaquer aux voûtes supérieures du bâtiment. 

 

L’utilisation de terre pour recouvrir le vieux bâtiment militaire, des années 1880, avait pour fonction de renforcer son système de défense en le protégeant des obus ennemis. Au sommet, se trouve une couche d’environ trois mètres d’épaisseur tandis que le long des murs la terre forme une pente de 66 % : un bon compromis entre la difficulté de la franchir pour les ennemis et sa stabilité face aux intempéries.

 

Couper tous ces arbres est un véritable travail de sportif de haut niveau. 

 

Au XIX e siècle, les moutons des alentours se chargeaient d’entretenir la pelouse. Mais, dans les années 1950-1960, le secteur va s’urbaniser. Des arbustes vont apparaître, puis devenir arbres. Leurs racines vont croître en proportion et finir par atteindre le sommet du bâtiment, provoquant à l’intérieur des fuites et des points de fragilité. On a eu beau tenter des opérations cosmétiques en injectant de la résine, c’était peine perdue ! Il a fallu fermer au public les couloirs des deux cours adjacentes du nord et du sud, renforcer les voûtes par des étais métalliques. La mairie, propriétaire du bâtiment n’avait plus d’autre issue que de se résoudre à abattre les arbres du sommet.

 

Le chantier d’abattage s’est déroulé dans la première quinzaine du mois de mars. Il concernait une bonne soixantaine de spécimens situés au-dessus de la porte d’entrée du bâtiment. Il a été confié à l’entreprise de bûcheronnage Lallaut-SMDA basé à Wahagnies. Couper tous ces arbres dans les conditions de sécurité requises est un véritable travail de sportif de haut niveau. Il faut escalader ces troncs sexagénaires et, à 20 m de hauteur la corde de rappel dans une main et la tronçonneuse dans l’autre, couper les branches, une à une. Celles-ci sont ensuite réduites en copeaux tandis que les troncs sont préservés pour différents usages.

 

Un cheval pour évacuer les troncs

 

Pour les évacuer, l’entreprise a fait appel à Trésor, un cheval ardennais de 14 ans. Malgré ses 700 kg, il est moins lourd qu’un tracteur ce qui évite de détériorer le bâtiment fragilisé qui se trouve en dessous. Ce chantier d’abattage et d’évacuation des arbres est une première étape. Cette opération sera suivie par d’autres jusqu’à ce que le bâtiment dans toutes ses composantes soit en totale sécurité. A. C. (CLP)

 

Le « robinier - faux-acacia » et le sommet du fort

 

La très grande majorité des arbres du fort, dont la partie centrale vient d’être abattue, était constituée de robiniers. On les appelle aussi « faux-acacias » parce que leurs fleurs ressemblent à s’y méprendre à celle des acacias. Mais il s’agit d’un arbre très différent. Il tire son nom de Jean Robin, arboriste du roi Henri IV qui, en 1601, a importé l’espèce en France. C’est ce qu’on appelle une plante pionnière, on pourrait presque dire invasive, parce qu’elle se développe facilement dans les endroits où, auparavant, il n’y avait rien.


Voir une suite au sujet de ces arbres

 

Des racines jusqu’à 8 mètres de profondeur

 

Le robinier adore les sols meubles. Autant dire que sur cette pelouse du vieux fort, il se sent chez lui. Ses racines s’étalent tout autour de l’arbre dans un rayon qui équivaut à une fois à une fois et demie sa hauteur. Mais il y a un gros problème avec ce robinier. Depuis ses racines étalées, partent des racines secondaires qui peuvent s’enfoncer comme des pivots jusqu’à huit mètres de profondeur. C’est ce qui permet à l’arbre d’être très résistant à la sécheresse, en allant puiser l’eau dans les sous-sols. C’était une véritable malédiction pour les voûtes du sommet du bâtiment historique qui ont beaucoup souffert de cette particularité de l’espèce. Ce qui a conduit à l’abattage de ces magnifiques spécimens.