Un Fort du système de défense Séré de Rivières

Construit en deux années seulement, de 1878 à 1880, le Fort de Mons-en-Barœul fait partie du système de défense élaboré par le général Séré de Rivières suite à la défaite de 1870. Devenu inutile suite à la mise au point de nouveaux explosifs 5 ans seulement après sa réalisation, il sera toutefois le siège d'unités de transmission, dont la plus étonnante sera celle d'une section colombophile avant de servir durant la guerre d'Indochine. Entre temps il aura connu des périodes d'occupation allemande à chacune des deux guerres mondiales, après avoir été déclassé 48 heures avant la déclaration de la première ! Resté intact, car non bétonné comme beaucoup d'autres fortifications, et magnifiquement remis en valeur avec un centre socio-culturel, c'est un exemple unique qui présente un intérêt architectural, historique et patrimonial exceptionnel.

Prisonnier au Fort


Deux articles d'Alain Cadet, parus dans La Voix du Nord (les 31 août et 3 septembre 2018)


Un visiteur australien découvre le Fort qui appartient à son histoire familiale

Warren Richards est venu, pour la première fois, visiter le fort Macdonald, un endroit tristement célèbre dans sa famille. Il y a plus d’un siècle, son grand-père, Gilbert Richards, soldat australien du 16e bataillon, fait prisonnier en 1917, y fut enfermé avant d’être envoyé en détention dans d’autres geôles allemandes.

Guidés par Jacques Desbarbieux et Guy Selosse, grands connaisseurs de la vieille forteresse, Warren et sa femme Viki ont fait le tour des remparts et des inoffensives salles de la bibliothèque. Pourtant, pendant la Première Guerre mondiale, elles firent office de cachots. On pénètre dans le Fort par l’unique entrée du pont-levis. « Pour moi, c’est une grande émotion, de refaire très exactement ce parcours qui fut celui de mon grand-père, il y a plus de cent ans », avoue Warren, « à ce moment, beaucoup de choses se bousculent dans ma tête . »



Warren a bien connu son grand-père, décédé en 1965. « C’était quelqu’un qui était très aimé de sa famille », explique le visiteur du bout du monde. Warren est devenu le gardien de la mémoire familiale. Il possède quelques photos, le canif et le sac à dos qui ont accompagné le soldat pendant toutes ces années de guerre. « Cela fait très longtemps que je rêvais de venir jusqu’ici et que je prépare minutieusement ce voyage. Je veux revoir les endroits qu’a traversé mon grand-père. Ma famille est très intéressée par ma démarche et je leur transmettrai tout ce que j’ai trouvé ici, à mon retour. »

« Mon grand-père ne parlait jamais de la guerre »

« En Australie, depuis quatre ans, on commémore les différentes batailles où les soldats australiens ont été impliqués », poursuit Warren. 

« Beaucoup de gens s’intéressent à nouveau à cette vieille histoire. Parmi eux, il y a un nombre important de très jeunes. » Après la guerre, le soldat Gilbert Richards, revint en Australie, se maria et eut six enfants. « Mon grand-père ne parlait jamais de la guerre », explique son petit-fils. « On savait qu’il l’avait faite à cause de vieux articles de journaux, mais il était souriant. On aurait pu croire que ces années terribles n’avaient eu aucune influence sur lui si ce n’est un léger bégaiement qu’il avait ramené d’Europe et qui devait l’accompagner tout le reste de sa vie. »

À l’issue du circuit, le visiteur australien était très ému : « J’attendais beaucoup de cette journée, confiait-il, et, finalement cette expérience a été beaucoup plus forte que tout ce que j’avais pu imaginer. »

Le Fort, prison civile et militaire

Lorsque les Allemands, en octobre 1914, s’emparent de Lille et de sa région, ils prennent possession de nombreuses installations militaires de premier plan, parmi lesquelles les différents forts de ceinture qui entouraient la ville.

À Mons-en-Barœul, alors qu’il existe un casernement et deux poudrières, l’occupant transforme le bâtiment en prison. Cette forteresse, minutieusement étudiée pour que l’on ne puisse pas y pénétrer va devenir pendant quatre ans un lieu dont il est impossible de sortir. 



Les réquisitions de l’autorité militaire allemande pour obtenir des civils un travail en faveur de l’effort de guerre ne rencontrant qu’un écho insuffisant dans la population, un certain nombre de civils seront réquisitionnés et enfermés dans le fort. Ainsi ils pourront effectuer des travaux de proximité ou, après une période de transit, être envoyés, sur la ligne de front pour effectuer des travaux exposés aux bombardements des alliés. Ces civils appartenaient aux communes de Lille, Hellemmes et Mons-en-Barœul.

Cette image des geôliers allemands, pendant l'Occupation, masque une réalité terrible pour les prisonniers.

Mais, on enfermait aussi dans le fort de nombreux prisonniers militaires : quelques Portugais et beaucoup de prisonniers britanniques parmi lesquels les Australiens faits prisonniers en avril 1917. Les conditions de détention étaient inhumaines et beaucoup de soldats, tenaillés par la faim, victimes de punitions terribles, ont sombré dans le désespoir avant d’être renvoyés à proximité des combats pour effectuer les tâches les plus dangereuses ou servir de boucliers humains.




Un Australien au Fort : Les épreuves du soldat des lanciers Richards  



Des soldats de l'armée australienne en captivité en Allemagne. Gilbert Richards est en haut à gauche.

La venue récente de Warren Richards, un Australien de la région de Perth, sur les traces de son grand-père, le soldat des lanciers du 16e bataillon, Gilbert Richards, détenu au fort Mac Donald en 1917, est l’occasion de revenir sur cette période tragique où le fort s’était transformé en prison. 

Qu’a découvert Warren Richards lors de son passage  ? 

Des lieux sur lesquels poser le témoignage de son grand-père... Le 11 avril 1917, Gilbert Richards est fait prisonnier à Bullecourt, dans le Pas-de-Calais. En 1919, de retour au pays, il relate son histoire dans la presse : « Nous avons été emmenés au Fort Mac Donald. Nous étions morts de faim. Comme j’ignorais tout des projets de nos états-majors on m’a enfermé dans une cellule du sous-sol. » 



Le soldat du 16e lancier Gilbert Richards

Les conditions de détention des prisonniers étaient très dures. Le sergent William Groves du 15e bataillon, un camarade de captivité de Gilbert Richards raconte: « De temps en temps, un gars s’approchait de la porte, la martelant de ses poings en criant sauvagement. Rendus fous par cette faim qui nous tenaillait, couverts de vermine, victimes de punitions terribles, au bout de cinq jours nous avions complètement sombré dans le plus noir des désespoirs. »

Nous étions 110 prisonniers par cellule et la taille de chaque cellule n’était que de 8 yards par 15. 
« Nous étions 110 prisonniers par cellule et la taille de chaque cellule n’était que de 8 yards par 15 (7,3 m sur 13,7, ndlr), poursuit Gilbert Richards. On peut imaginer les horreurs d’une telle promiscuité. On ne pouvait pas se laver, même pas se nettoyer et beaucoup d’entre-nous sont tombés malades par manque de nourriture et absence de soins. »

Au bout de quelque temps, les prisonniers australiens partent vers une direction inconnue. Ils peuvent imaginer que leur sort va s’améliorer. Mais il n’en est rien ! Ils sont emmenés sur de la ligne de front. Un ordre particulièrement sévère des autorités allemandes les attend : « Les prisonniers seront affectés dans les zones de combat. Ils verront leur ration de nourriture réduite. Ils seront mal logés : pas de bain, pas de lit, pas de savon pour se laver et se raser, pas de serviettes, pas de chaussures. Ils ne seront pas payés et affectés à un travail pénible. Ils seront parqués près des canons allemands exposés au tir des obus. » 



Des prisonniers australiens en Allemagne

Ainsi, les Allemands espèrent-ils peser sur les états-majors britanniques. Les prisonniers australiens durent vivre dans ces conditions affreuses, du 24 avril au 10 juin, avant que les survivants ne soient transférés vers un camp de prisonniers. 337 prisonniers australiens sont morts en captivité de leurs blessures ou des mauvais traitements dont ils ont été l’objet. Alain Cadet ( CLP)

La bataille de Bullecourt



Un char australien capturé par les allemands à Bullecourt en 1917

En 1917, les troupes allemandes effectuent un repli tactique pour se retrancher derrière la ligne Hindenburg. Il s’agit d’un complexe de défense gigantesque avec des tranchées parallèles, des bunkers de béton, des souterrains profonds, des casernes enterrées. Cette construction colossale a pour but de réduire le front de 50 km ce qui permet d’affecter 13 divisions supplémentaires à la réserve et d’envisager une vigoureuse contre-attaque.

Sous-estimant probablement ce dispositif, le général Gough, chef de la 5 e armée britannique à laquelle appartiennent quatre divisions australiennes, se lance à l’assaut d’un des points de ce dispositif, le village de Bullecourt. Sans appui de l’artillerie, il compte sur quelques chars peu fiables avec des équipages mal entraînés pour franchir la ligne de front.

Les Australiens doivent progresser dans un paysage plat, battu par les mitrailleuses et l’artillerie de l’ennemi. Beaucoup sont tués et les survivants subissent la contre-attaque des Allemands, abrités dans les souterrains pendant les bombardements. La quatrième brigade australienne va perdre 2 229 hommes sur son effectif de 3 000, dont 1 170 prisonniers.

Cette bataille de Bullecourt est la date la plus noire de l’histoire de l’armée australienne.



Les clichés de ces instants mémorables
© Alain Cadet et Jacques Desbarbieux



Vicki et Warren Richards à gauche



De gauche à droite : Warren Richards, Jacques Desbarbieux, Guy Selosse et Vicki Richards






Warren Richards devant une photo, retrouvée par l'association Eugénies, qui montre les geôliers de son grand père au Fort de Mons-en-Barœul



Devant le tableau " The black hole " qui est exposée au War Museum de Londres et qui dépeint les conditions déplorables de captivité des prisonniers au Fort Macdonald de Mons-en-Barœul, durant le premier conflit mondial.









Séquence très émouvante lorsque Warren Richards découvre l'endroit où son grand père a été enfermé au Fort de Mons-en-Barœul. Il nous remercie chaudement, mais nous lui répliquons que c'est nous qui devons remercier ces soldats australiens venus à notre secours et dont beaucoup ont payé du sacrifice de leur vie.










Alain Cadet prépare avec Warren Richards l'article qui paraîtra dans La Voix du Nord, tandis que ce dernier nous évoque photos à l'appui le parcours de son grand père Gilbert Richards





Un repas au Restaurant du Fort, bien loin de ce qui était donné aux prisonniers



Guy Selosse remets au nom d'Eugénies à Warren Richards, la brochure du Fort de Mons-en-Barœul, traduite en anglais, qu'il a co-écrite avec Jacques Desbarbieux





Un autre article d'Alain Cadet est paru en novembre 2018
dans le bulletin municipal Mons & Vous
à l'occasion du centenaire de la fin de ce conflit mondial