Deux articles d'Alain Cadet. Edition numérique de la Voix du Nord des 26 et 27 décembre 2017. Edition imprimée du 5 janvier 2018.
L’arc sud-est du « Camp retranché de Lille » face à l’histoire
(1)
Cet arc sud-est correspond à beaucoup de communes couvertes
par notre édition. Un certain nombre de documents, découverts récemment au
musée des Canonniers de Lille, fournissent des renseignements complémentaires
sur ces forts d’arrêt de notre territoire, datant de la fin du XIXe siècle.
Ci-dessus et ci-dessous, le Fort de Mons-en-Barœul, occupé par les Allemands, pendant la Première Guerre Mondiale. Il servait alors de prison.
Construits suivant les préconisations du rapport du général
Séré de Rivières de 1874, les forts seront érigés en une décennie. Lille, si
proche de la frontière, est un avant-poste se dressant sur la route des
invasions ennemies. La Flandre, zone plate sans grandes rivières pour la
cloisonner, est un lieu difficile à défendre.
Au XVIIe, comme au XXe siècle, la fortification des villes
frontalières semble être le meilleur moyen. À la lumière du désastre de 1870,
Séré de Rivières, alors directeur des services du Génie, propose une
réorganisation des places fortes du Nord, qui puisse « donner de la profondeur » au dispositif, empêchant l’armée ennemie de
manœuvrer correctement devant des forces françaises.
Le « camp retranché
de Lille » est un système de défense.
Tandis que la ville et sa muraille occupent le centre, des forts d’arrêt
distants de quelques kilomètres sont bâtis tout autour.
Pour la zone qui nous intéresse, côté sud, les forts de
Sainghin-en-Mélantois et Seclin occupent les positions dominantes de la crête
qui va de la Marque à la Deûle.
Côté est, la batterie du Camp français (Lezennes) et le Fort
de Mons-en-Barœul sont construits sur des hauteurs. Ces ouvrages étaient
équipés, pour les canons de longue portée, de 120 mm, système « de Bange »,
ainsi que de quelques 138 mm en bronze d’une portée inférieure à 10 km.
Des ouvrages intermédiaires
Comme la distance entre les différents forts est trop
importante pour qu’ils puissent s’appuyer mutuellement, dans les années 1890,
on va rajouter des ouvrages intermédiaires, en béton cette fois, de dimensions
plus modestes, destinés à rendre l’ensemble plus cohérent. Ce sera Houplin,
Noyelles et Vendeville pour Seclin, Enchemont, la Jonchère pour Sainghin, Croix
de Vallers pour Camp Français, Haut Vinage, Babylone, Marchenelles pour
Mons-en-Barœul.
Ce dispositif Séré de Rivières était très onéreux pour les
finances de la France : 112 millions
rien que pour la frontière Nord sur un total de 400 millions. Mais malgré cet
investissement, les forts et ouvrages de la métropole lilloise n’eurent
quasiment aucun usage militaire lors de l’invasion de 1914. Le 24 août l’ordre est donné d’évacuer l’artillerie de tous les forts d’arrêt. L’ennemi
peut en prendre possession sans tirer un coup de fusil puis les occuper pour en
faire des centres logistiques, voire des prisons.
Un fort aujourd’hui disparu, Sainghin-en-Mélantois
Cet « ouvrage à massif central muni de deux batteries », bâti 58 m au-dessus du niveau de la mer,
n’existe plus. Cependant, un petit tour sur Google Maps, donne une idée exacte
de sa forme trapézoïdale, caractéristique des ouvrages Séré de Rivières.
Photographie aérienne du Fort de Sainghin-en-Mélantois,
après-guerre.
Selon un inventaire du Génie, datant de 1905, on y
dénombrait deux pièces d’artillerie de 120 mm, quatre 90 mm, cinq « canons
revolver » Hotchkiss de 40 mm pour la défense rapprochée, deux mortiers de 27
(270 mm) et cinq 12 « culasse » (120 mm), soit au total, 20 bouches à feu.
Même si on y ajoute les pièces d’artillerie des deux
ouvrages intermédiaires (rarement permanentes), le fort de Sainghin était loin
des 44 bouches à feu qui lui sont généralement attribuées.
Malgré tout, c’était un ouvrage défense tout à fait efficace. Il possédait 11 abris « sous traverse » pour le pas de tir principal, deux
magasins pouvant contenir 120 tonnes de poudre, un magasin pour les cartouches, deux
ateliers de confection des obus, de vastes galeries couvertes permettant de
remiser le matériel roulant.
Équipé d’un four à pain, de deux citernes de 6 m³ et de
deux puits permettant chacun de pomper 8 m³ d’eau par jour, le fort possédait
tous les approvisionnements nécessaires pour résister à un siège de trois mois.
En 1905, le pas de tir du fort de Sainghin. Il est étudié
pour battre des axes très précis à des distances définies : Chéreng, 4500 m ;
Gruson, 3100 m ; Cysoing, 4700 m ; Louvil, 3600 m ; Templeuve, 3000 m ; Frétin
3000 m, etc. Document musée des Cannonniers.
Sur le plan stratégique , cet ouvrage qui fait suite à celui
de Seclin (distant de 8 km), battait les hauteurs qui s’étendent de Louvil à
Gruson. Il permettait à la défense mobile d’occuper la commune de Bouvines sur
la rive droite de la Marque.
Au sud, il pouvait battre les terrains de la vallée et, au
nord, protéger la zone d’accès à la batterie du « Camp français ». En outre,
ses projectiles pouvaient atteindre les routes et les voies de chemin de fer
dont l’axe Valenciennes, Orchies en direction de Lille et Roubaix.
Le 24 août 1914, les canons de 120 du fort de Sainghin
ouvrent le feu sur un détachement de Dragons allemands. Quelques jours plus
tard, l’ouvrage sera occupé.
Le Fort de Sainghin, occupé par les Anglais avant la Seconde
Guerre Mondiale.
Document Imperial War Museum.
Après-guerre, il deviendra un dépôt de munitions. En
septembre 1944, les Allemands, en déroute, font sauter le dépôt, causant l’effondrement de la plupart des casemates. Aujourd’hui, propriété privée,
l’endroit est une réserve de chasse.
L’arc sud-est du « Camp retranché de Lille » face à l’histoire
(2)
La ténébreuse histoire des canons du Fort Macdonald est
enfin éclaircie. En l’absence de documents probants, elle s’était perdue avec
la disparition des derniers survivants de la période 14-18. Dans les années
1970, où l’on a recommencé à s’intéresser à l’histoire locale, le sujet était
une énigme.
La façade ouest du Fort Macdonald.
Y avait-il ou n’y avait-il pas de canons dans le vieux
fort ? Difficile de répondre à cette
question. Mons avait été occupée durement par l’armée allemande et la période
avait laissé des cicatrices indélébiles dans la population civile. Dans les
familles, on ne parlait jamais plus de cette époque.
L’opinion majoritaire était qu’il n’y avait jamais eu la
moindre artillerie en service au fort. À l’appui de cette thèse, on avançait l’apparition des « obus torpille » chargés de mélinite (un explosif brisant
découvert en 1885) qui venaient facilement à bout des constructions en briques, de type Séré de Rivières.
Plan du pas de tir du Fort suivant l'inventaire de 1905.
Alors, si ces forts ne pouvaient être défendus à quoi bon
les doter d’artillerie ! Mais, en 2014, Xavier Lavallart, auteur de l’ouvrage
Le Fort de Mons-en-Barœul exhume un document étonnant des archives municipales.
En 1920, le maire de l’époque écrit à l’intendant militaire de la Place de
Lille : « À la demande des cultivateurs,
je vous avais écrit pour vous prier de bien vouloir leur faire régler les frais
de charroi de canons et matériels divers effectués au Fort de Mons-en-Barœul au
début de la mobilisation. »
Donc, si les fermiers avaient transporté les canons, c’est
bien que le plan d’équipement des années 1880 avait été mis en pratique.
L’inventaire de 1905 du musée des Canonniers de Lille répond de façon précise à
la question. Il y avait, à cette époque, deux canons de 120 mm. C’était une
pièce très mobile, dotée d’un système « de Bange ». Il restait précis jusqu’à
une distance légèrement inférieure à 10 km.
On dénombrait aussi six canons de 90 mm, voisins des pièces
précédentes. Ils avaient une portée d’environ 7 km.
Pour la défense rapprochée cinq canons revolver Hotchkiss de
40 mm garnissaient les batteries de flanquement. Cet engin, ancêtre de la
mitrailleuse, tirait ses petits obus à balle à une cadence de 60 coups à la
minute. C’était une arme très meurtrière.
Les quatre mortiers de 32 (320 mm) étaient des armes
antédiluviennes. Elles étaient destinées à atteindre des objectifs rapprochés
en cas d’attaque d’une troupe au sol.
Enfin, cinq 12 « culasse » (120 mm) permettaient de défendre
les fossés en détruisant les échafaudages ou les passerelles de franchissement
d’un ennemi qui serait parvenu jusque-là.
En tout, le fort possédait 22 bouches à feu, ce qui le
classait dans une bonne moyenne.
L’ancien pas de tir est devenu un théâtre de plein air.
Lorsque la municipalité rachète le vieux Fort, le pas de tir
est un terrain vague cabossé rempli d’herbes folles. Mais, trente ans plus
tard, à l’occasion de l’opération Lille 2004, capitale européenne de la
culture, à laquelle participe la ville de Mons-en-Barœul, des financements
exceptionnels permettent d’envisager sa réhabilitation.
Le jardin de Thalie en été, là où était l’ancien pas de tir.
Sa structure en gradins rappelle un peu celle d’un théâtre
antique, d’où l’idée de transformer le lieu en un théâtre de verdure. Les
cours serviront de scène et des plates-formes étagées tiendront lieu de
gradins. Quelques plantations judicieuses disséminées çà et là, et on obtient
un magnifique théâtre de verdure. On lui donnera le nom de Jardin de Thalie.
Dès 2004, plusieurs spectacles de plein air y sont donnés.
Puis l’association Jonas y organise des son et lumière qui, l’espace d’un
week-end, en trois représentations, mobilisent plusieurs milliers de
personnes.
Ensuite, le Jardin de Thalie connaîtra toutes les
utilisations possibles. Il accueillera un festival rock, les concerts de la
Brigade des tubes (fanfare), des opéras et chorales, des orchestres
symphoniques, des spectacles de fin d’année des établissements scolaires,
etc.
Le « Jardin de Thalie » est aussi un magnifique lieu de
promenade, surtout à la belle saison, lorsqu’il est couvert de fleurs.
Le théâtre de verdure est particulièrement apprécié par les
noces et leurs mariés.