Un Fort du système de défense Séré de Rivières

Construit en deux années seulement, de 1878 à 1880, le Fort de Mons-en-Barœul fait partie du système de défense élaboré par le général Séré de Rivières suite à la défaite de 1870. Devenu inutile suite à la mise au point de nouveaux explosifs 5 ans seulement après sa réalisation, il sera toutefois le siège d'unités de transmission, dont la plus étonnante sera celle d'une section colombophile avant de servir durant la guerre d'Indochine. Entre temps il aura connu des périodes d'occupation allemande à chacune des deux guerres mondiales, après avoir été déclassé 48 heures avant la déclaration de la première ! Resté intact, car non bétonné comme beaucoup d'autres fortifications, et magnifiquement remis en valeur avec un centre socio-culturel, c'est un exemple unique qui présente un intérêt architectural, historique et patrimonial exceptionnel.

Le fort dans la presse


Une série d'articles parus en octobre et novembre 2016 dans la Voix du Nord




Grandeur et décadence du dispositif Séré de Rivières : le fort Macdonald (1) 

Article paru dans la Voix du Nord du lundi 24 octobre 2016 sous la plume d’Alain Cadet

Sentinelle redoutable construite pour protéger Lille, le fort de Mons est aujourd’hui l’un des mieux conservés.

« Le fort Macdonald », appelé aussi « fort de Mons », est probablement l’ouvrage de la période Séré de Rivières le mieux conservé de la métropole lilloise. Il répondait à un but précis, inclus dans un vaste dispositif de protection de la frontière du Nord, plus spécifiquement de la Place de Lille. 



La cour centrale, dite cour des casernes, du fort de Mons-en-Barœul

La guerre de 1870 fut pour l’armée française un véritable désastre. Mal préparée, mal armée, mal organisée, archaïque, elle se révéla incapable de résister à l’ennemi. L’armistice signé, une grande réflexion se développa chez les militaires et les membres du gouvernement pour connaître les raisons pour lesquelles Von Moltke, le chef d’état-major allemand, avait pu faire manœuvrer ses troupes avec une si déconcertante facilité. Au ministère de la guerre, le général Raymond Adolphe Séré de Rivières prend la direction du Génie. En 1874, il livre ses conclusions dans un rapport dont un chapitre s’intitule : « Projet d’organisation de la frontière du Nord ». Il y précise ce qu’il préconise pour défendre la Place de Lille. En amont, de nouvelles implantations d’ouvrages militaires avec leurs cahiers des charges ont été prévues. Dans la première mouture du dispositif lillois (1872), il s’agit surtout de lui donner de la « profondeur » en construisant sept forts « d’arrêt », à la périphérie, dont celui de Mons-en-Barœul.


Le programme «Séré» permit de construire plus de 500 ouvrages, dont 116 forts, tous redoutables et difficiles à prendre. 

Le programme Séré de Rivières permit de construire plus de 500 ouvrages dont 116 forts ! Malgré une architecture épurée, des plans simplifiés qui visent surtout à réduire le coût du dispositif, ces forts d’arrêt sont redoutables et difficiles à prendre. Ils sont étudiés pour soutenir un siège très long. Ces ouvrages autonomes sont coordonnés suivant un plan d’ensemble mûrement réfléchi. Ils sont installés autour des villes ou constituent des rideaux aux frontières ou dans des lieux stratégiques, obligeant l’envahisseur à emprunter des itinéraires bien définis. Pour l’ennemi, ce dispositif serait une épée de Damoclès dès qu’il s’agirait, pour lui, d’entreprendre le siège d’une ville ou de manœuvrer dans sa campagne proche. Lorsqu’en 1882, on installe l’artillerie du fort Macdonald, le dispositif « Séré » est très dissuasif mais ne se connaît pas que des amis. Du côté du monde politique et de la finance, on grogne contre ce général si dépensier. Le coût de tous ces ouvrages fortifiés est jugé exorbitant, qu’il s’agisse de sa construction, de son entretien… du paiement des soldes de tous ces militaires qui gardent nos villes et nos frontières.



Le fort du Vert Galant qui faisait partie de la ceinture de défense de la place de Lille

Mais, l’affaiblissement de la France qui, en 1871, a perdu l’Alsace et la Lorraine, ses mines et industries utiles à l’effort de guerre, mais aussi une partie importante de ses troupes, décimée par le conflit et qui connaît dans ces années 1870 une période de désarroi et de désorganisation, ne laisse guère d’autre solution. Séré de Rivières et ses fortifications font l’objet d’un consensus relatif. Le fort Macdonald, sentinelle redoutable, veillera bel et bien sur la partie orientale de la place de Lille. A. C. ( CLP)

Pour aller plus loin : L’Explosion de Dix-Huit Ponts, Lumières de Lille, 2015 ; http://fortdemonsenbaroeul.blogspot.fr/

L’organisation autour du camp retranché de Lille

Un total de huit forts a été construit autour de Lille (*).

Lille constitue un avant-poste de la frontière du Nord. Quelques kilomètres plus loin, on est déjà en Belgique ! À part quelques cours d’eau modestes, il n’existe aucun obstacle naturel empêchant la progression et les stratégies défensives possibles sont très limitées. Seule la muraille semble être une solution efficace.


Plan signé du général de Brigade C. Cadart du 8 février 1872

Tandis qu’une partie du monde politique feint de croire que la neutralité de la Belgique puisse être une garantie suffisante, le général Séré de Rivières ne se fait guère d’illusions. Sur les 400 millions de francs qu’il a prévus pour la réorganisation des frontières, il en consacre 112 à celle du Nord. « Si la guerre venait à se rallumer de nouveau entre la France et l’Allemagne, écrit-il, cette dernière aurait intérêt à diriger […] ses attaques du côté du Nord puisque c’est le point le plus vulnérable de nos frontières. »

Le ministère de la Guerre prévoit dans la capitale des Flandres un dispositif ambitieux intitulé « Camp retranché de Lille ». Il s’agit de conforter les murailles de la place datant de Vauban, ainsi que le mur d’extension tout neuf de la ville, situé au sud, dont la construction s’est terminée en 1871. Pour donner de la profondeur de la cohérence au dispositif, le ministère de la Guerre prévoit 7 forts, 4 ouvrages de campagne et 4 batteries. Finalement, on construira huit forts d’arrêt (**) à la périphérie de la ville : Bondues, Lezennes, Sainghin, Seclin, Englos, Prémesques, Wambrechies et Mons-en-Barœul. Ce dispositif onéreux, à Lille comme ailleurs, garantit cependant à la France une longue période de paix de 1871 à 1914.

(*) (**) NDLR : Le plan adopté en 1878 pour la défense de la place de Lille comprend au final 8 ouvrages (quelquefois appelés forts d'arrêt) à savoir 6 forts et 2 batteries (Lompret et Lezennes). Le terme ouvrage prêtant lui même à confusion avec les Ouvrages Intermédiaires.


Grandeur et décadence du dispositif Séré de Rivières : l’ère du béton (2) 

Article paru dans La Voix du Nord, le vendredi 28 octobre 2016, sous la plume d'Alain Cadet.



Au milieu des années 1880, la découverte de nouveaux explosifs à la puissance stupéfiante et les progrès de l’artillerie rendent les ouvrages Séré de Rivières obsolètes. Le fort de Mons-en-Barœul et ses satellites, à Wasquehal et Villeneuve-d’Ascq, en sont une parfaite démonstration.

Alors que le fort Macdonald vient tout juste d’être rendu opérationnel (1882), une crise grave survient. En 1884, apparaît la poudre sans fumée (quatre fois plus puissante que l’ancienne) et en 1885, la Mélinite, un explosif brisant, à la puissance de destruction terrifiante. L’Allemagne s’inspire de ces nouveautés françaises et de son propre service de recherche. Cette période est appelée « crise des obus-torpille », du nom de nouveaux obus très allongés, très puissants, et capables de s’enfoncer profondément à travers les remblais protecteurs des fortifications pour atteindre les murailles.

Ces forts tout neufs sont à la merci de l’artillerie germanique. Les services du Génie sont à la recherche d’une parade. Ce sera le béton.

En 1886, l’armée française effectue une expérience au fort de la Malmaison (près de Laon). Le résultat est sans appel : les obus pénètrent jusqu’à 6 m de profondeur. Ils détruisent la maçonnerie des murs ou des voûtes sans aucune difficulté. Ces forts, flambant neufs, sont à la merci de l’artillerie germanique. Les services du Génie sont à la recherche d’une parade. Ils découvrent que des murs coulés d’un seul bloc dans un matériau nouveau pour l’époque, le béton, sont capables de résister aux pièces d’artillerie moderne. Encore faut-il que ce béton soit de très bonne qualité et agencé en murs très épais. Enserrer les anciennes fortifications du fort de Mons et a fortiori celle de la place de Lille d’un lit de béton protégé par une couche de rocaille et de sable est inenvisageable. Cela représenterait un gouffre financier pour l’État !


Pourtant, le ministère de la Guerre va moderniser la plupart des forts de l’Est… mais pas ceux du Nord, à l’exception de Maubeuge. Les travaux entrepris en Belgique en fournissent le prétexte. « Les forts en construction à Namur et à Liège constituent de nouvelles garanties pour la neutralité belge et par suite pour la sécurité de notre frontière du Nord », écrit le général Saussier en 1889.

Malgré tout, on va mener à bien, à Lille et dans ses forts périphériques, une importante opération de modernisation et de restructuration de l’artillerie. À Mons, à partir de 1891, on procède à la construction d’ouvrages intermédiaires destinés à renforcer la défense du fort principal. Deux batteries satellites de la période 1878 – 1880 existaient déjà (l’une, au nord, est désignée le plus souvent par l’appellation « Petit fort » et l’autre, identique et symétrique, se trouvait sur le territoire de Flers).

On les complète avec trois ouvrages bétonnés (Haut Vinage, Babylone, Marchenelles). On notera que ces satellites du fort de Mons se trouvent sur les territoires de Wasquehal et de Villeneuve-d’Ascq. Ils peuvent abriter une compagnie ou une demi-compagnie et quelques pièces d’artillerie, et constituent surtout une ligne de défense avancée supplémentaire en direction de l’Est et de la zone intermédiaire entre deux forts principaux. A. C. ( CLP)

Le magasin à poudre de Lezennes – Hellemmes est toujours là

Cet imposant édifice, datant de la période « béton » du début des années 1890, existe toujours. Solide, sa démolition aurait été coûteuse et difficile.


Cet imposant édifice, datant de la période « béton » du début des années 1890, existe toujours. Il faut probablement en chercher les raisons dans sa solidité qui rend sa démolition coûteuse et difficile. Les magasins à poudre des années 1870, intégrés en général à l’intérieur des forts sont, dès 1885, très vulnérables et à la portée des « obus torpilles ». C’est pourquoi, il est prévu de remplacer ces antiques édifices de briques par des nouveaux, entièrement en béton.

Pour le « Camp retranché de Lille », le projet initial définit 11 magasins dont 7 intra-muros et 4 « de secteur » qui, comme celui de Lezennes, seront établis à l’extérieur de la ville. En définitive, pour des raisons financières, seulement 6 seront construits (3 à l’intérieur de Lille et 3 à l’extérieur). Ces constructions enterrées, étanches, enserrées dans un glacis de silex, sont impressionnantes. Les murs extérieurs sont épais de plus de 3 mètres. L’agencement interne, identique pour tous les ouvrages lillois, est constitué, sur le mode modulaire, d’alvéoles de stockage des munitions d’une capacité pouvant atteindre 70 t (contre 50 t pour les magasins poudre des forts traditionnels Séré de Rivières).


On trouve aussi dans ces ouvrages, un atelier de réparation de matériel et de confection de munitions de « temps de guerre » à l’abri des bombardements. On peut y effectuer en toute sécurité le chargement des gargouses et projectiles destinés à alimenter l’artillerie des forts. L’ouvrage de Lezennes est le plus simple et le moins onéreux du dispositif lillois.
 
Décadence du dispositif Séré  de Rivières : muraille assaillie (3/3) 

Article paru dans La Voix du Nord, le mardi 1er novembre 2016, sous la plume d'Alain Cadet.




« Le fort Macdonald », appelé aussi « fort de Mons », est probablement l’ouvrage de la période Séré   de Rivières le mieux conservé de la métropole lilloise. Il répondait à un but précis, inclus dans un vaste dispositif de protection de la frontière du Nord, plus spécifiquement de la Place de Lille.

Dès la fin du XIXe siècle, la place de Lille, ses murailles, ses forts d’arrêt périphériques, ses ouvrages fortifiés satellites, font l’objet d’attaques incessantes. Ce combat mené par des représentants du monde économique, une partie grandissante de l’armée et du monde politique s’achèvera par la victoire sans appel des adversaires de la muraille. Dès 1899, rien ne va plus pour les murailles du Nord ! Monsieur de Freycinet, ministre de la Guerre, dépose son projet de « Classement des ouvrages de fortifications de la défense de terre de la France ». Il établit trois catégories. Lille est classée en troisième catégorie, celles des places et ouvrages qui ne seront ni entretenus, ni armés, ni approvisionnés, ni pourvus d’une garnison de défense.

Les partisans de la doctrine de l’offensive estiment que la défensive et ses murailles sont des options obsolètes.


Avant 1900, des brèches sont effectuées dans les remparts, comme ici pour laisser passer la ligne de tramway.


En 1900, le Ministère transfère le régiment d’artillerie de Lille à Douai sous prétexte que « la défense devra s’effectuer en utilisant les obstacles naturels du sol ». En 1911, un nouveau projet réclame le déclassement des forts ou villes qui ne l’avaient pas encore été au motif que « ces remparts exigeraient des travaux coûteux et gênent la population ». Il insiste sur la nécessité du démantèlement de tous ces ouvrages « afin d’empêcher que, dans une guerre malheureuse, ils ne puissent être utilisés contre nous par l’ennemi ». L’auteur de ce brillant texte est un certain Georges Vandame, député et adjoint aux finances de la ville de Lille. C’est un industriel qui possède des filatures, tout comme son maire, Charles Delesalle. Pour eux, ces fortifications gênent la circulation et nuisent au développement de la capitale régionale, sans compter qu’elles sont aussi un obstacle à de belles opérations immobilières.

Priorité à l'offensive

Au sein de l’armée, la nouvelle doctrine de l’offensive est en train de gagner le combat idéologique. Selon ses partisans, la défensive et ses murailles sont des options obsolètes. 


En 1911, la nomination de Joffre, comme chef d’état-major et commandant en chef des armées, consacre définitivement la victoire des partisans de l’offensive et la mort des plans de guerre défensifs.

Le 16 mars 1914, le nouveau ministre de la guerre, M. Noulens assisté de Georges Vandame, réclame une dernière fois le déclassement de Lille. Le 1 er août 1914, en accord avec l’état-major et le Président du conseil, la place de Lille est définitivement déclassée. La date était bien choisie. Ce jour-là, l’Allemagne déclarait la guerre à la Russie. On connaît la suite… A. C. ( CLP)


Le débat artillerie contre muraille



Le mortier Krupp de 420mm a laminé les défenses françaises.


L’armistice signé, beaucoup de Français du monde politique, de l’armée et de la société civile demandent des comptes aux responsables des options stratégiques d’avant 1914. Ils remarquent que, lors de la prise de Lille en 1914, 3 000 soldats de réserve et goumiers, avaient tenu en respect, pendant neuf jours, une armée puissante de 60 000 hommes et ne s’étaient rendus qu’à court de munitions. La résistance victorieuse de forts Séré de Rivières modernisés dans la zone de Verdun est également soulignée.

Il faudra attendre les années 30 et des études sérieuses pour avoir une idée du rapport de force existant entre la muraille et l’artillerie. Si la plupart des ouvrages fortifiés, belges et français n’ont pas résisté à l’artillerie allemande, c’est à cause de l’épaisseur insuffisante de leurs murs de béton. Ils avaient été construits pour résister à des pièces d’artillerie de 280 mm (le plus gros calibre connu à l’époque), mais pas au-delà. Or, l’Allemagne, dans le plus grand secret, avait mis au point de nouvelles pièces monstrueuses, comme le mortier de 420 mm Krupp propulsant jusqu’à 9 km des obus d’acier durci de près d’une tonne. Seul un mur de béton de plus de 2 m d’épaisseur soigneusement construit aurait pu résister à un tel coup. Ce n’était pas le cas de la plupart de ceux des forteresses belges et françaises, ce que savaient les Allemands. Le cahier des charges de leur nouvelle artillerie partait de ces informations.

L’autre question posée par les contestataires consista à se demander pourquoi, dès le début du conflit, on n’avait pas établi une ligne de tranchées aux frontières en s’appuyant sur la logistique de la place de Lille et de ses forts plutôt que de l’établir, en pleine improvisation, du côté du Pas-de-Calais. A. C. ( CLP)